Quand la justice perd le sens commun
Ou la jurisprudence Kerviel généralisée
On croyait avoir tout vu avec la jurisprudence Kerviel qui consacrait la responsabilité de la banque conjointement avec son salarié, cette dernière étant « condamnée » au motif qu’elle n’avait pas suffisamment contrôlé son employé. La cour de cassation avait, par une particulière construction intellectuelle, démontré que la Société Générale ne pouvait demander des indemnités sur la totalité du préjudice s’il était prouvé qu’elle avait participé, par sa négligence, à la réalisation de l’infraction, diminuant ainsi la faute du salarié.
Le principe du partage de responsabilité entre victimes et tiers responsables
Cette jurisprudence que l’on jugeait hardie, semblait vouée aux circonstances exceptionnelles de l’affaire. En effet, habituellement et jusqu’alors les personnes condamnées devaient s’acquitter de la totalité du préjudice subi par leur victime. Mais il semble bien que la Cour de Cassation veuille généraliser sa jurisprudence en considérant que l’éventuelle négligence d’une victime doit désormais être prise en considération en impactant à la baisse le montant des dommages et intérêts à lui verser.
C’est ce que vient de rappeler un arrêt de la Cour de Cassation en date du 20 octobre 2020, en consacrant ce principe de partage de responsabilité entre un voleur et sa victime. La motivation est consternante : « lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond. Est de nature à constituer une telle faute le fait, pour la victime, de ne pas avoir pris les précautions utiles pour éviter le dommage ».
Modularité des dommages et intérêts aux victimes
Depuis longtemps la Cour avait modulé les dommages et intérêts en matière d’atteintes aux personnes, comme en matière d’accident de la route où des victimes acceptaient par exemple de monter dans un véhicule conduit par un chauffeur en état d’ivresse, ainsi qu’en matière de violences volontaires lors d’une provocation de la victime pouvant justifier la suite des faits !
Le dernier exemple en date est celui de cette jeune fille, tuée à coups de poing américain et pied-de-biche et dont le corps avait été plongé dans un bain d’acide. Les deux meurtriers ont été condamnés pénalement à 25 et 30 ans de réclusion et au titre des dommages et intérêts à payer 80 000€ aux parents. Le fonds de garantie des victimes propose de ne prendre en charge que 50 % du préjudice, au motif que la victime était sous emprise de produits stupéfiants…
Ces décisions concernant l’atteinte aux personnes n’avaient jamais été étendues aux atteintes intentionnelles contre les biens. Il est facile d’imaginer la suite logique d’une telle dérive : on vous vole votre véhicule. Le délinquant, si on l’attrape, sera condamné au titre pénal à un rappel à la loi et les tribunaux refuseront de vous indemniser, car votre véhicule est de plus forte cylindrée que celle du voleur et, cerise sur le gâteau, il sera exonéré de vous le rendre… Autre exemple : on vous détrousse dans la rue : va-t-on minimiser votre indemnisation parce que vous ne vous êtes pas défendu ? Depuis cette jurisprudence, tous les délinquants soulèvent la faute de la victime de s’être trop facilement détroussée. Le voleur condamné pénalement pour ses méfaits peut donc être autorisé à conserver une partie de son butin. Un comble ! Les droits de la victime sont ainsi purement et simplement bafoués ! La justice ferait mieux de défendre les intérêts des justiciables plutôt que de s’occuper du bien-être financier des délinquants…
Et plus encore…
« Le plus grand mal, à part l’injustice, serait que l’auteur de l’injustice ne paie pas la peine de sa faute » (Platon, il y a 2400 ans !). Un adage qui devrait être enseigné à l’école de la magistrature et qui redonnerait un sens à la justice. « Bien mal acquis ne profite jamais, qu’il faudra bien le restituer un jour ; et vous reconnaîtrez que voler est non seulement un crime, mais encore une folie ». Celui-là n’a malheureusement plus cours. L’inversion des valeurs est en marche. Mais dormez tranquille braves gens… la justice vous protège !
Pourtant, cette jurisprudence pourrait bien voir le jour. Et vous n’êtes pas au bout de vos malheurs : quelle sera la position de nos assureurs ? Nous rembourseront-il l’intégralité de notre préjudice ou simplement le quota fixé par le juge ? La réponse à cette question est d’importance, n’est-ce pas ?! Nous suivrons donc avec attention les conséquences de ces décisions iniques… À suivre…
** MICHEL SISTER **